CritiqueLA PRESSE SAMEDI, 11 AVRIL 2009

Cavalia: innovation et tradition

Cavalia nous revient pour la cinquième fois, avec une nouvelle vedette, mais le même esprit.

Cavalia_Odysseo_Arabians

Sylvia Zerbini se joint à la troupe avec ses chevaux arabes, tandis qu’Estelle Delgado se charge de garder vivante la tradition du clan fondateur.

Quand Sylvia Zerbini a vu Cavalia, en Californie en 2004, elle s’est dit: «C’est là que je veux travailler.» «J’aimais l’ambiance, j’aimais comment on traitait les chevaux et je me voyais bien sur cette piste avec les miens.»

Lundi matin, quand on l’a rencontrée, Mme Zerbini venait de parquer sa superbe maison mobile sur le site de Cavalia – vue imprenable sur l’échangeur Décarie – où elle débute le mardi 21 avril avec ses huit Arabes. Huit chevaux en liberté qu’elle dirige, on est porté à dire simplement, du geste et de la voix pour les faire évoluer aux trois allures (pas, trot, galop), se croiser «à la main gauche, à la main droite, valser dans leur robe gris-blanc»…

«Il est difficile de gagner la confiance d’un cheval arabe, mais quand vous y arrivez, il fera tout pour vous faire plaisir», explique cette enfant de la balle de neuvième génération, née en Floride d’un père dresseur d’animaux marocain et d’une mère trapéziste française. Sylvia a débuté à 5 ans sur un éléphant – quand votre père s’appelle Tarzan… – puis s’est consacrée à la voltige.

Après un premier poney à qui elle enseigne tout, elle aura ses premiers Arabes à 15 ans, apprenant tout, à son tour, d’un cheval de tête nommé Oran. De là, elle partagera son temps et son talent entre les airs et la piste qu’elle partage avec ses chéris. Avec ce mélange unique de trapèze et de chevaux en liberté, elle passera 10 ans chez Feld Entertainment, notamment dans la tournée Barnum’s Kaleidoscape, un spectacle de cirque d’inspiration européenne présenté sous chapiteau.

Montéal? La métropole québécoise fait déjà partie de la feuille de route de «la diva volante» (dixit le NY Times) qui a travaillé pendant deux ans au Cirque de la Ronde à la fin des années 80: trapèze et voltige sur un cheval arabe.

Avec Cavalia, pas de trapèze ni de corde lisse. «Avec huit chevaux en piste, la concentration doit être totale. Pour voir qui veut aller mordre qui, quel autre a moins le goût de jouer…»

Des appréhensions? «Avec les chevaux, on ne sait jamais, surtout avec les jeunes qui n’ont jamais travaillé devant public et qui peuvent être facilement dérangés: une toile qui bouge, un rayon de lumière…»

Avec plus de 350 pièces d’éclairage, des rayons de lumière, il y en pas mal dans Cavalia, «spectacle multimédia» où la luminosité des projections va augmenter ici de 30%. Normand Latourelle, le président-concepteur de Cavalia, explique ces détails techniques en marchant sur la piste de sable compacté dont on achève la préparation: ferme mais pas trop… «Les chevaux finissent par s’habituer à tout, mais le plus difficile pour eux reste les applaudissements.»

Et l’ancien du Cirque du Soleil – sa vie, dit-il, est de «monter des patentes» – explique que lui et son équipe ont beaucoup appris au contact des chevaux depuis six ans. Ainsi, l’immense toile du fond de la scène sur laquelle sont projetées les images est conçue de façon telle que les spectateurs ne voient pas la coulisse arrière, mais les chevaux, eux, peuvent voir à travers ce qui s’y passe. Un voisin d’écurie qui se prépare à entrer en piste? O.K…. Le gros noir qui arrive au galop? Signal qu’il est temps de sortir côté box… Le cheval, «ce grand nerveux», n’aime pas les surprises.

Ce qui ne veut pas dire que Cavalia ne nous offrira pas des surprises de son cru. Une chose est certaine: le départ de Fred Pignon et de Magali Delgado, les premiers directeurs équestres, et premières vedettes, du spectacle a accéléré la cadence vers ce Cavalia «renouvelé». «Sur la piste, Fred attire tous les regards, dit Latourelle. Il a aussi une relation unique avec ses chevaux», tous des «Delgado», du nom du prestigieux élevage de Lusitaniens (portugais) qu’exploitent les parents de Magali dans le Vaucluse. «Il y a juste un Fred Pignon et on ne le remplace pas. Par ailleurs, je me suis rendu compte au fil des ans que la vedette, c’était Cavalia…»

Pour le metteur en scène et concepteur visuel Érick Villeneuve, par ailleurs, «Fred est toujours présent même s’il n’y est plus de corps». Villeneuve connaît la dynamique présence/absence; il va rater la première montréalaise parce qu’il prépare, en Allemagne, un spectacle intitulé Best of Opera tout en gardant un oeil (virtuel) sur ce show de cirque traditionnel chinois qu’il a mis en scène à… Shanghai. «Quand Robert Lepage joue dans une de ses pièces, c’est formidable. Mais quand un autre tient le rôle, ça reste du Robert Lepage. C’est la même chose avec Fred…»

La méthode Pignon, qui est devenue la méthode Cavalia, pourrait se résumer en trois mots: calme, sérénité, respect des chevaux. Appliquée en tout temps et en tout lieu.

Même «renouvelé», Cavalia n’en continue pas moins de raconter l’histoire de la relation entre l’homme et le cheval, en l’illustrant par un amalgame unique des différentes disciplines équestres: dressage, liberté, voltige, poste hongroise et autres styles de trick riding.

Preuve de sa valeur artistique et de son rayonnement au-delà des écoles: Cavalia a été applaudi dans des pays aux traditions équestres aussi différentes que les États-Unis, berceau de l’équitation western, et l’Europe de l’Ouest où la «haute école» s’enseigne depuis 400 ans. Selon des préceptes quasi immuables comme ceux, entre autres, du célèbre écuyer français François Baucher (1796-1873): «Le cheval doit trouver aisance et agrément dans la domination du cavalier»…

Quant au Québec, l’absence d’une grande tradition équestre ne peut rien enlever aux liens «naturels» – d’aucuns diront esthétiques – qui unissent l’homme et le cheval et, plus que jamais, la femme et le cheval. Cavalia installe son chapiteau dans la région métropolitaine pour la cinquième fois; les 550 000 spectateurs qui ont déjà vu le spectacle placent Cavalia en deuxième position du palmarès, derrière Broue qui, avec ses «jouaux de tavarne», trotte loin devant, avec plus de 3 millions de spectateurs en 30 ans.

Estelle Delgado était là à Shawinigan et, six ans plus tard, elle reste la dernière représentante du clan Delgado-Pignon, après le départ de sa soeur Magali et de son beau-frère Fred, et le retrait récent de Mathieu Pignon, qui avait remplacé son frère l’automne dernier.

Quand nous l’avons jointe, dimanche dernier, Mme Delgado se reposait chez sa soeur à Monteux (au nord-est d’Avignon). Elle «relaxait» en montant en poste hongroise, discipline dangereuse qu’elle pratique dans Cavalia dont elle est devenue la codirectrice équestre, avec Cédrik Texier, autre cavalier de la première heure.

«Oui, je crois qu’on peut dire que je suis une cavalière polyvalente. Les chevaux, vous voyez, sont toute ma vie et j’aurai toujours quelque chose à apprendre, de nouveaux liens à faire. Par exemple, ma formation classique m’aide à développer des aides nouvelles en poste hongroise où, debout sur les chevaux, on n’a pas l’aide des jambes pour les diriger.»

Et Estelle Delgado, femme de cheval intégrale, d’expliquer comment elle se sent investie de la «mission» de perpétuer dans Cavalia la tradition familiale. Il reste elle et six «Delgado». Les pionniers, les Famoso, les Guizo, sont rentrés en France pour une retraite douce. Et courte dans le cas de Templado, le premier cheval de spectacle du couple Delgado-Pignon et la première vedette équine de Cavalia, qui est parti l’automne dernier, à l’âge de 23 ans.

Templado, c’était quelqu’un! «Il a attendu que Fred et Magali rentrent de tournée et il est mort dans leurs bras.» Parti vers les prés éternels, là où «l’herbe goûte le miel».